10/09/2024
EXTRAIT DE L'INTERVENTION DE L'AMBASSADEUR GANDY THOMAS À LA SESSION EXTRAORDINAIRE DU CONSEIL PERMANENT DE L'OEA SUR LES CONDITIONS DE DÉPORTATION DES MIGRANTS HAÏTIENS EN RÉPUBLIQUE DOMINICAINE (8 octobre 2024)
La défense et le respect des droits humains doivent être universels et transcender les frontières. Malheureusement, la déportation forcée et en masse de nos compatriotes haïtiens en République dominicaine est une violation des principes fondamentaux de la dignité humaine.
[...] Permettez-moi de rappeler qu’Haïti, en dépit des crises répétées auxquelles elle est confrontée, demeure attachée aux principes de démocratie et de dialogue. Nos gouvernements successifs n’ont cessé de réaffirmer leur volonté de dialoguer avec la République dominicaine sur les nombreux sujets qui nous concernent mutuellement, tels que le commerce, le transport transfrontalier, la sécurité, et bien entendu, la migration. D’ailleurs, les deux pays se sont mis d’accord pour établir un cadre de dialogue à travers la Commission mixte haitiano-dominicaine, créée en 1979 et réactivée en 1996, qui continue aujourd’hui de traiter des thématiques d’intérêt commun.
Haïti est un pays pacifique qui ne cherche querelle à aucun État, encore moins à la République dominicaine. Cette intervention, loin de viser à mettre la République dominicaine sur la sellette, s’inscrit dans une démarche profondément ancrée dans les valeurs démocratiques de dialogue et de respect mutuel entre États voisins, tous deux engagés envers le système interaméricain et ses instruments, notamment la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
[...] Monsieur le Président,
Malgré les avancées en matière de droits humains dans notre région, nous assistons malheureusement à de graves violations des droits des citoyens haïtiens en République dominicaine, souvent en quête de sécurité ou de meilleures opportunités.
Je souhaite rappeler à cette assemblée les terribles événements d’octobre 1937, où près de 37 000 citoyens haïtiens furent massacrés dans les zones frontalières par l’armée dominicaine sous les ordres de Rafael Leonidas Trujillo. Ces événements tragiques font partie d’un passé douloureux que personne ne souhaite raviver. Or, en ce mois d’octobre 2024, nous constatons avec désolation que les droits fondamentaux des migrants haïtiens continuent d’être violés.
Monsieur le Président, ce qui se passe actuellement en République dominicaine est alarmant pour toute la région. Le 2 octobre dernier, contre toute attente, les autorités dominicaines ont annoncé un plan d’expulsions massives de migrants haïtiens, avec l’objectif déclaré d’expulser 10 000 personnes par semaine. Ce chiffre est troublant, et il est triste de constater que ce plan est déjà en cours d’exécution.
Le gouvernement haïtien est profondément préoccupé par ces politiques migratoires autoritaires et discriminatoires, qui exacerbent également des discours haineux à l’encontre des migrants haïtiens. Comme la ministre des Affaires etrangères et des Haïtiens Vivant à l’étranger, Son Excellence Madame Dominique Dupuy, l’a si bien montré : “De telles actions sont non seulement moralement répréhensibles, mais elles violent également des principes clés du droit international, notamment la Convention sur les réfugiés de 1951, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention américaine relative aux droits de l'homme, auxquels la République dominicaine est partie”. Des organisations internationales, comme Amnesty International, partagent ces préoccupations. Amnesty a qualifié ces mesures de triplement des taux actuels de déportations, menaçant directement les droits humains des Haïtiens vivant en République dominicaine, et condamne fermement les risques d’expulsion de personnes apatrides ou de ressortissants dominicains d’origine haïtienne.
Monsieur le Président,
Si Haïti reconnaît le droit de tout État à définir et mettre en œuvre ses politiques migratoires, celles-ci doivent être conformes aux conventions internationales, en particulier celles relatives aux droits des migrants. Ces politiques doivent également respecter les accords bilatéraux signés entre nos deux pays, tels que le protocole de 1999 sur les mécanismes de rapatriement, qui visait précisément à garantir le respect des droits et de la dignité des migrants haïtiens. Nous exhortons les autorités dominicaines à respecter ces accords et à reconnaître la contribution inestimable des travailleurs haïtiens à leur économie.
En conséquence, Haïti appelle la Commission interaméricaine des droits de l’homme à accorder une attention particulière à la situation des migrants haïtiens en République dominicaine et à publier un communiqué sur cette question urgente.
La migration et les déplacements forcés sont souvent la conséquence de la pauvreté, de la violence, et de l’insécurité. En tant qu’États membres de cette organisation, nous avons tous la responsabilité de protéger les droits humains et les libertés fondamentales de toutes les personnes sur nos territoires, sans distinction de leur statut migratoire.
Je vous remercie.